Conclusion.

L'affaire du crime des sœurs Papin a intrigué beaucoup d'écrivains dès le lendemain du crime. Comme le souligne Francis Dupré l'affaire ´ne cesse de ne pas s'écrireª et ce fait est évident dans le nombre des nouvelles analyses et interprétations qui ont paru depuis 1933 (qui inclut, bien entendu, la nôtre). Cependant, nous avons limité notre analyse aux interprétations de l'affaire Papin qui ont paru dans les années 30 et 40 parce que ces interprétations reflètent le sentiment de l'époque.

Dans cette thèse nous avons présenté plusieurs interprétations des actions des deux femmes. Ces interprétations ont donné au crime une certaine immortalité, et ont empêché l'affaire de disparaître dans l'obscurité. Ce qui est particulièrement intéressant, tant pour une analyse de la construction discursive de cette affaire, que pour un commentaire général sur la représentation des criminelles, c'est l'absence du point de vue des sœurs dans ces interprétations. En effet, les femmes sont enfermées dans un système d'interprétations dont elles sont exclues. Ces interprètes s'intéressent seulement à ce que ce crime symbolise. En termes généraux, pour la droite, ce crime symbolise la menace de la révolte des classes inférieures et pour la gauche le crime est symbole de la révolte de classe et de l'hypocrisie de la classe bourgeoise. Cependant, les deux sœurs restent en silence dans les interprétations de l'affaire; Christine et Léa n'ont jamais parlé avec la plupart des interprètes, elles n'ont jamais donné de raisons cohérentes pour le meurtre. En fait, le comportement et l'histoire de la vie des deux sœurs sont en conflit avec les images des femmes qui sont présentées par les deux côtés. Il n'existe aucune indice que les sœurs Papin aient agi pour aider la lutte des classes comme suggèrent les communistes et les surréalistes et il n'y avait aucune indication dans leurs interrogatoires. En plus, au procès la partie civile n'était pas capable d'établir que les sœurs ont prémédité leur crime. Cependant, la plupart des interprètes du crime ne tiennent pas compte de ces lacunes. A la place, ils accentuent les aspects du crime qui correspondent à leurs propres théories ou idéologies. Effectivement, les interprètes ont donné des mots aux sœurs. L'exemple ultime de ce phénomène est l'interprétation de Genet, Les Bonnes, dans laquelle il crée un langage pour les femmes.

Michel Foucault a indiqué que le discours est imposé aux événements et aux choses. Selon lui, ´il faut concevoir le discours comme une violence que nous faisons aux choses, en tout cas comme une pratique que nous leur imposonsª. Cette ´violenceª est bien évident dans notre analyse de la construction discursive de l'affaire Papin .

Dans cette thèse il s'agit d'une analyse de la construction discursive de l'affaire Papin. Nous avons développé la proposition de Nicole Ward Jouve que chacune des interprétations reflète les idées des interprètes, en montrant en même temps comment ces interprétations apparemment distinctes se regroupent sous certaines rubriques. Donc, afin de mieux analyser ces interprétations nous avons identifié et examiné en détails les trois discours distincts qui se construisent autour de l'affaire. Ce sont le discours officiel, le discours médiatique et le discours artistique. En plus, nous avons constaté que sous-tendant ces divers discours se trouve une polarisation bourgeoise/anti-bourgeoise qui reflète la division politique de la France de l'époque.

En plus, les trois discours se définissent les uns par rapport aux autres, reflétant ainsi la polarisation bourgeois/anti-bourgeois. En premier lieu, se trouve le discours officiel. Ce discours est nécessairement bourgeois parce que c'est la façon dont la société bourgeoise interprète le crime. C'est la responsabilité de la loi, représentée ici dans le procès, de maintenir l'ordre dans la société. Les deux autres discours se définissent par rapport au discours officiel et à l'interprétation bourgeoise du crime. En deuxième lieu, le discours médiatique comprend les commentaires sur le discours officiel. Ces commentaires ou interprétations sont divisés selon la ligne de fracture bourgeoise/anti-bourgeoise qui caractérise l'époque. Il s'ensuit que les journalistes qui s'opposent à l'ordre établi ont écrit des commentaires anti-bourgeois. En troisième lieu, se trouve le discours artistique qui transforme le crime en lui attribuant des traits esthétiques. A cause de cette caractéristique de transformation le discours artistique ne peut jamais s'accorder avec le discours officiel. En plus, les intellectuels se considèrent comme étant en dehors de l'ordre établi, c'est-à-dire, la société bourgeoise. Ils luttent contre cet ordre et l'hypocrisie de la classe bourgeoise. Donc, le discours artistique est nécessairement anti-bourgeois. Ces trois discours se joignent afin de construire l'affaire Papin.

Le crime de Christine et Léa Papin est très complexe, nous ne prétendons pas ici présenter une analyse exhaustive de l'affaire. Nous n'avons qu'examiné la construction discursive de l'affaire. Cependant, à travers nos recherches nous avons suggéré plusieurs domaines à expliquer. Première possibilité, en posant la question: ´le discours artistique est-ce qu'il s'oppose toujours au discours officiel ou est-ce-que ce phénomène est simplement un produit de la polarisation bourgeoise/anti-bourgeoise de l'époque?ª on peut faire une analyse générale des relations entre le crime et le discours artistique. Il est possible aussi de faire un examen des différences entre la construction discursive des crimes des femmes et celle des crimes des hommes, en se référant à l'affaire Papin.

En conclusion, plus de soixante années sont passées depuis la nuit du février 1933 quand Christine et Léa ont tué leurs patronnes, Mme et Mlle Lancelin. Les deux sœurs sont mortes sans donner d'explications de leur acte de violence; elles ne peuvent pas répondre à toutes les questions qui entourent l'affaire. Malgré le nombre d'interprétations du crime qui ont paru, ainsi que celles qui continuent de paraitre, les motifs de ce crime restent aussi obscurs que jamais.

All material
© Andrea Curr 2000

Graphics from
[ Laurie's Free Web Graphics ]